Notice nécrologique sur H. Arnaud
par
A. de Grossouvre
Nous venons de perdre un de nos
plus anciens confrères, Hilaire
Arnaud, avocat à
Angoulême. Il faisait partie de notre Société
depuis cinquante ans : c'est dans la séance du
2 novembre 1857
qu'il fut proclamé membre, ayant pour parrains Coquand et
notre
vénéré et illustre confrère, M. Albert Gaudry. Une longue
amitié,
qui avait succédé à des relations d'abord amenées par notre
amour
commun pour la géologie, m'autorise à lui apporter ici un
dernier
hommage et à rappeler les travaux scientifiques qui doivent
perpétuer parmi nous son souvenir.
Arnaud naquit à Angoulême le 10 septembre 1827: son père était un soldat
de la Grande-Armée de 1812 et il charma son enfance par le récit de nos
gloires et de nos revers. Après de brillantes études scolaires, il suivit
les cours de la Faculté de Droit de Poitiers et là son goût pour les
sciences naturelles commença à se révéler les loisirs dont il pouvait
disposer étaient consacrés à l'étude de la botanique et de la médecine.
Plus tard, avocat à Angoulême, puis substitut du Procureur impérial de
Cognac, il fit ses premières explorations géologiques sous la direction de
Coquand, alors chargé de l'exécution de la Carte géologique de la
Charente. Sa vocation pour la géologie se fixa définitivement lorsque
notre société vint tenir une de ses assises annuelles à Angoulême en 1857.
Le principal objet de cette réunion était d'examiner sur le terrain les
subdivisions établies par Coquand pour la Craie du Sud-Ouest, subdivisions
aujourd'hui devenues classiques et adoptées par la majorité des géologues,
à l'étranger aussi bien qu'en France. Coquand fut élu président et M.
Gaudry secrétaire. Nous voyons dans le compte rendu que le programme des
courses fut fixé en partie sur les indications d'Arnaud et que dans la
séance du 11 septembre il fut présenté comme membre en même temps qu'un
autre de nos confrères et aussi un de nos doyens, M. Ch. Boreau, lié avec
lui d'une amitié que la mort a seule pu interrompre. Animé d'un zèle non
moins ardent qu'Arnaud, il l'accompagna souvent dans ses excursions et, à
ce souvenir, se mêle le regret de ne pas retrouver dans nos Bulletins les
résultats de son activité sur le terrain.
Arnaud, magistrat d'abord à Cognac, puis à Périgueux, résidait donc en
plein pays de craie. Il y fit des explorations nombreuses et fructueuses,
commençant à recueillir les matériaux d'une collection qu'il enrichira
jusqu'à sa mort et réunissant des observations qu'il mettra en oeuvre plus
tard. Son choix était fixé : désormais il se confinera dans l'étude du
Crétacé de l'Aquitaine, sa petite patrie ; il y concentrera ses
recherches, disséquant le sous-sol, isolant les diverses couches et
recueillant avec soin dans chacune d'elles les restes des anciens êtres
qui y étaient enfouis. En même temps il suit avec intérêt tout ce qui
s'écrit sur la Craie en France et à l'étranger et en fait le point de
départ d'importantes comparaisons avec la région à laquelle il s'était
consacré.
En 1862, paraît dans notre Bulletin le premier travail d'Arnaud, une note
sur la Craie de la Dordogne dans laquelle il cherche à appliquer dans ce
département la classification de Coquand, en vue de vérifier si les
divisions créées par ce savant ont un caractère de généralité qui justifie
leur adoption. Dès les premières pages de ce travail, apparaissent deux
des principales idées directrices d'Arnaud : d'une part les modifications
corrélatives des faunes et de la composition minéralogique des dépôts qui
les renferment, et de l'autre leur extinction graduelle et leur
renouvellement progressif.
On ne doit pas oublier que ces deux principes, dont le premier dérive
directement de l'observation des faits actuels, aujourd'hui
universellement acceptés et regardés par tous comme des vérités
fondamentales, étaient à cette époque complètement méconnus et que les
propositions contraires servaient de point de départ aux spéculations
géologiques. On croyait que partout les dépôts de même âge présentaient la
même constitution et possédaient la même faune ; on pensait que les
limites d'étages correspondaient à un renouvellement intégral des faunes.
Aussi doit-on admirer la sagacité d'Arnaud, l'indépendance de son esprit
scientifique et la hardiesse avec laquelle il avait su se dégager des
erreurs de l'Ecole officielle pour mettre en évidence des vérités qui
n'ont définitivement triomphé que bien longtemps après.
Je crois devoir reproduire ici quelques uns des passages où il met en
lumière ces principes si importants.
Dans sa note sur la Craie de la Dordogne [1862, B. S. G. F., (a), XIX, p.
476], il fait ressortir que « la réapparition des grandes Caprines dans le
banc supérieur des Ichthyosarcolithes, malgré leur absence dans les
couches intercalées entre ce banc et le banc inférieur (grès et argiles
tégulines), montre que ces assises intermédiaires, quoique nettement
différenciées des Calcaires à Ichthyosarcolithes par le caractère
minéralogique, ne constituent qu'un accident local, et que ces Rudistes,
au développement desquels un sol marécageux et l'agitation des sables
littoraux opposaient un obstacle temporaire, ont trouvé à faible distance
des eaux paisibles au sein desquelles, et certainement dans une formation
calcarifère contemporaine, se sont perpétuées leurs espèces, jusqu'au
moment où elles ont été rappelées, dans la partie aujourd'hui apparente du
bassin, par un abaissement du sol et un changement dans la direction des
courants ; leur persistance, malgré ce changement, en montre à un autre
point de vue la faible importance ».
Il insiste sur les dangers de la recherche de divisions tranchées « là où
la nature n'a procédé que par l'extinction graduelle et le renouvellement
successif des faunes », phénomènes attestés, dit-il, par ces couches de
passage «où sont venues s'ensevelir les dépouilles de deux générations,
l'une à son aurore, l'autre à son déclin ».
Quelques années plus tard, il n'est pas moins explicite sur ces mêmes
questions et dans ses « Observations géographiques sur la Craie du
Sud-Ouest [1869, B.S.G.F., (3), XXVII, p. 18] il écrit : « sous l'empire
des variations minéralogiques les espèces émigrent, elles cherchent des
milieux appropriés à leur conservation et prolongent sur des points plus
ou moins éloignés de leur origine l'existence qu'elles paraissaient avoir
perdue : souvent le retour des conditions minéralogiques au sein
desquelles elles avaient pris naissance les rappelle, mélangées et
altérées par le temps, à un niveau supérieur à celui qu'elles avaient
quitté ».
Quelle profondeur de vue révèlent ces lignes ! Non seulement nous y voyons
nettement définie la théorie des faciès, mais nous y trouvons en germe
bien des notions qui, développées plus tard, contribueront grandement aux
progrès de la science.
Arnaud nous y montre, par exemple, l'influence des courants sur la
migration des espèces et, quand il nous parle de la réapparition d'espèces
altérées par le temps, n'éveille-t-il pas en nous cette idée des
mutations, c'est-à-dire des variations d'un même type dans le temps, idée
développée la même année par Waagen dans son célèbre mémoire sur la série
des formes de Ammonites subradiatus. N'est-ce pas cette notion qui,
appliquée à l'étude paléontologique des groupes coralligènes, a permis de
résoudre si heureusement les difficultés que présentait la classification
des niveaux coralliens dans le Jurassique et des niveaux à Rudistes dans
le Crétacé ? Combien de stériles et retentissantes discussions eussent été
évitées si ces principes avaient été mieux appréciés par les contemporains
d'Arnaud, car ce ne sont pas là des vérités échappées par hasard de sa
plume, au courant de la rédaction, puisque nous les retrouvons formulées
dans tous ses travaux ; dès lors ne devons-nous pas regretter qu'il n'aie
pu consacrer tout son temps, toutes ses forces et toute son activité aux
études géologiques.
Les événements politiques l'ayant obligé de quitter la magistrature, il
revint en 1870 se fixer à Angoulême, dans la maison paternelle, et se fit
inscrire de nouveau au barreau de cette ville. La profonde honnêteté de
son caractère, ses connaissances juridiques, l'autorité de sa parole, lui
acquirent bientôt la confiance de ses concitoyens : il ne tarda pas à être
l'un des avocats les plus recherchés et il obtint les honneurs du
Bâtonnat.
Malgré ses occupations professionnelles, il ne négligeait pas la géologie
et c'est vers cette époque qu'il inaugura ce qu'il appelait sa campagne
des profils. Muni de permis, que les compagnies de chemins de fer avaient
gracieusement mis à sa disposition, il explora, tranchée par tranchée,
toutes les lignes de l'Orléans, des Charentes et de l'État qui
traversaient la région. De chacune, il releva avec soin la coupe
détaillée, notant couche par couche les fossiles qui les habitaient et en
déduisant la position qu'elles devaient occuper dans le cadre de sa
classification. 11 fit le même travail sur les falaises de la Gironde et
le poursuivit au fur et à mesure de l'achèvement des nouvelles voies qui
s'ouvraient. Les résultats de ces recherches minutieuses parurent dans une
série de notes débutant en 1873 et se continuèrent jusqu'en 1892, époque à
laquelle fut livrée la ligne d'Angoulême à Marmande.
Les nombreuses observations recueillies dans ses courses l'amenèrent enfin
à en coordonner l'ensemble dans un magistral mémoire sur le terrain
crétacé du Sud-Ouest, paru en 1857 dans les Mémoires de notre Société.
Le point de départ de ce travail consiste en une série de tableaux de
synchronisme qui donnent, pour une suite de nombreuses localités prises en
allant du Nord-Est au Sud-Ouest, c'est-à-dire de la Charente-Inférieure au
Lot, la coupe détaillée des couches crétacées. Le texte forme la synthèse
de cet ensemble de données ; il résume les caractères utilisées pour fixer
avec une précision plus rigoureuse la définition des étages créés par
Coquand et subdiviser ceux-ci en zones dont chacune possède un faciès
spécial et une faune particulière.
L'ensemble des observations relatives à la puissance des couches et à leur
nature, est réuni dans un tableau fort suggestif qui fait ressortir à
première vue les modifications qu'elles éprouvent à travers la région
étudiée. Ce schéma est probablement le premier, ou certainement un des
premiers, qui ait été établi dans cet ordre d'idées : aujourd'hui il n'est
guère de mémoires où nous n'en rencontrions de semblables. Mais il ne faut
pas oublier qu'à l'époque où Arnaud publiait le sien, le principe de la
variation latérale des faciès était une nouveauté audacieuse. Nous voyons
donc Arnaud affirmer ici de nouveau les idées qu'il avait précédemment
émises de nouveau encore, il fait remarquer que « nulle part les divisions
qu'il avait tracées ne correspondaient à une extinction absolue et au
renouvellement intégral de la vie organique... ; que, plus ou moins
affaibli, le lien paléontologique n'en persiste pas moins dans toute la
série des périodes crétacées ».
Arnaud n'avait pas moins nettement entrevu la grandeur des phénomènes
d'érosion et, à une époque où l'on se plaisait à considérer les
affleurements des couches comme représentant les rivages des anciennes
mers, il écrivait : « les dénudations opérées à la surface du sol, ont
modifié l'extension apparente des étages et ne permettent plus d'en suivre
les limites primitives » ; et, plus loin, il ajoutait : « les golfes
jurassiques qui festonnent le pourtour du bassin représentent, non des
promontoires émergés au moment du dépôt de la Craie, mais les axes dénudés
des dénivellations postérieures ».
Le mémoire d'Arnaud se termine par une partie paléontologique dans
laquelle une série de tableaux donnent l'inventaire détaillé pour les
genres les plus importants, Céphalopodes, Ostracées, Rudistes,
Brachiopodes et Echinodermes, des espèces recueillies dans la Craie du
Sud-Ouest avec l'indication des zones où elles ont été rencontrées. La
description d'un certain nombre d'espèces nouvelles montre qu'Arnaud était
non moins perspicace en paléontologie qu'en stratigraphie.
Comme autre conclusion de ses observations, Arnaud reconstitue l'histoire
des événements qui ont amené les modifications corrélatives constatées
dans la nature des dépôts des différentes mers, et dans les organismes qui
les habitaient : mouvements d'émersion et d'affaissement auxquels
correspondent des sédiments plus ou moins fins, sables, argiles, marnes,
calcaires, et une population appropriée à ces conditions de dépôt. C'est
ainsi qu'on voit apparaître des bancs de Rudistes au sommet de la Craie
inférieure, de la Craie moyenne et de la Craie supérieure, tandis que
d'autres intercalés au milieu de ces deux dernières subdivisions indiquent
des accidents survenus au cours de ces époques, venant interrompre la
marche régulière des phénomènes sédimentaires.
Les divisions qu'Arnaud venait de tracer avec tant de sagacité dans la
Craie du Sud-Ouest, ont été de nouveau précisées par lui dans le résumé
qu'il présenta à la fin de la Réunion extraordinaire de notre Société, en
1887 ; il y donne brièvement lès caractères essentiels des diverses
assises et distingue chacune d'elles par une lettre de l'alphabet, ainsi
que Quenstedt l'avait fait pour le Jurassique. L'échelle stratigraphique
ainsi établie est devenue classique et sert de terme de comparaison pour
la classification des couches crétacées des autres régions : aujourd'hui,
quand on veut préciser la position de l'une d'elles dans la série
sédimentaire, c'est d'ordinaire à l'une des assises définies par Arnaud
qu'on la rapporte.
Après la publication de cet important mémoire, Arnaud fit paraître
successivement les profils qu'il avait relevés sur les diverses lignes de
chemins de fer du Sud-Ouest.
A plusieurs reprises il intervint dans les ardentes discussions qui se
produisirent au sein de notre Société sur le parallélisme de la Craie du
Nord et de la Craie du Midi et qui mirent en présence Hébert, Arnaud,
Peron et M. Toucas.
Hébert, auquel sa position officielle donnait une grande autorité, et avec
lui beaucoup de géologues professaient que les terrains de même âge
présentent partout la même constitution minéralogique et que les limites
d'étage correspondent à un renouvellement intégral des faunes ; ils se
refusaient à admettre que le même faciès peut se retrouver dans des
couches d'âge différent, erreurs contre lesquelles s'était élevé Arnaud,
dès ses premières publications scientifiques : aujourd'hui, les principes
qu'il a toujours soutenus ont définitivement triomphé et, si l'on peut
s'étonner de quelque chose, c'est qu'il ait fallu un temps aussi long pour
faire accepter des vérités qui nous paraissent si évidentes. Encore
faut-il reconnaître qu'elles ne sont pas toujours sainement interprétées.
Hébert regardait donc tous les calcaires à Hippurites du Midi de la France
comme appartenant à une zone unique qui formait la partie supérieure de
l'étage turonien dont la base était constituée par la Craie de Touraine,
de telle sorte que, pour lui, une lacune correspondant à cet horizon
existait dans tout le Nord de l'Europe. Il croyait en outre que toute la
Craie de l'Aquitaine n'était qu'un magnifique développement de la Craie de
Villedieu dont elle présentait les caractères généraux depuis la base
jusqu'aux couches les plus élevées.
Arnaud répondait avec raison que, s'il y a entre les diverses assises de
la Craie supérieure du Sud-Ouest un lien de continuité, cela ne suffit pas
pour démontrer l'unité et l'indivisibilité de cet ensemble.
La question était aussi d'ordre paléontologique, car le retour des mêmes
faciès amène la récurrence de faunes analogues, que les géologues de cette
époque, en l'absence d'études minutieuses, considéraient comme identiques
: les paléontologistes ne savaient pas reconnaître les caractères
distinctifs de ces types récurrents « altérés par le temps », comme disait
Arnaud, et la connaissance des mutations des Rudistes due aux belles
recherches de MM. Henri Douvillé et A. Toncas est de date toute récente.
L'important mémoire de A. Peron sur les calcaires à Echinides de
Rennes-les-Bains, paru en 1877, fut le point de départ des longues
discussions auxquelles donna lieu le problème du parallélisme des couches
crétacées du Nord et du Midi de la France. Notre savant confrère y
démontrait que, par leur faune, les calcaires à Echinides doivent être
considérés comme sénoniens et que, par suite, les Calcaires à Hippurites
qui les surmontent ne peuvent être turoniens, Les principes invoqués par
lui sont précisément ceux qu'Arnaud posait quelque vingt ans plus tôt,
dans sa première note parue dans notre Bulletin. «La nécessité où nous
croyons être, dit A. Peron, de considérer comme absolument synchroniques
des dépôts où se trouvent certaines espèces réputées caractéristiques,
peut entraîner parfois à de véritables inconséquences. En matière de
Coraux et de Rudistes surtout, je crois qu'il est nécessaire d'user avec
prudence de ce moyen de limiter et de paralléliser les horizons
géologiques. Les récifs de Polypiers et de Rudistes ont eu certainement
besoin pour se développer, de certaines conditions biologiques qui ne se
sont pas toujours produites simultanément sur tous les points d'un même
bassin et a fortiori dans des bassins différents. Ces conditions de milieu
favorable ont pu également se reproduire sur quelques points par
intervalles et donner lieu alors aux alternances que nous voyons ; elles
ont pu enfin ne pas se produire du tout ». Et il conclut : « l'absence
dans une série de couches, d'un niveau de Rudistes ou de Polypiers qui
existe ailleurs, n'implique pas forcément une interruption sédimentaire.
Ces récifs sont de véritables dépôts accidentels et il est parfaitement
évident qu'ils n'ont pu exister partout à la fois ».
Arnaud intervint dans la discussion : il combattit, il est vrai, une
partie des conclusions de A. Peron, continuant à croire qu'il existait
dans la Craie du Nord une lacune entre le Turonien et le Sénonien qui
correspondait à l'absence des couches à Hippurites, et que le Sénonien du
bassin anglo-parisien présentait une autre lacune résultant de l'absence
de la Craie de Villedieu, mais le tableau de synchronisme qu'il présente,
en 1878, bien qu'entaché de ces erreurs, se rapproche beaucoup plus des
conclusions adoptées actuellement que tout ce qui avait été publié à cette
époque.
Quelques années plus tard, dans son mémoire de 1883 sur la division du
Turonien et du Sénonien en France, il se dégage en partie de ces erreurs.
Il insiste sur ce point que « les divisions adoptées en géologie, plus ou
moins générales, plus ou moins étendues, cessent forcément, sur un point
ou sur l'autre, d'être saisissables : sur ces points, les dépôts se sont
succédé d'une manière non interrompue, les espèces se sont éteintes et
remplacées une à une sans marquer de distinction entre les couches
qu'elles enchaînent ». Il signale « ces retours inattendus, ces évolutions
verticales étonnantes dont le nombre s'accroît chaque jour par suite des
recherches multipliées des géologues ». « La persistance des caractères
minéralogiques concorde avec l'enchaînement des faunes et la longévité des
espèces pour attester l'uniformité des conditions de dépôt». Aussi,
conclut-il, qu' « exiger, pour asseoir le synchronisme des assises de
bassins différents, l'identité des faunes et des roches, serait poursuivre
une chimère ».
Le tableau synchronique qui termine ce mémoire, et qui se rapporte aux
diverses assises du Turonien et du Sénonien inférieur, est véritablement
remarquable et s'écarte fort peu des parallélismes aujourd'hui admis.
Arnaud n'y fait pas figurer les lacunes admises par Hébert, se référant
là-dessus à l'opinion des géologues qui attribuent les différences
signalées d'une région à l'autre, non à des lacunes, mais à des
transformations résultant de la différence des milieux.
Arnaud n'y fait pas
mention non plus des couches crétacées des Corbières et de la Provence,
car ce n'est que plus tard qu'il se ralliera aux conclusions de A. Peron
et de M. Toncas. A ce moment, il refuse d'admettre le parallélisme des
couches à Micrasters du Sud-Ouest et du Midi et il place celles de
Rennes-les-Bains et de la Cadière dans le Turonien.
L'erreur d'Arnaud à ce sujet résultait de la généralité d'extension qu'il
attribuait aux événements perturbateurs qui sont venus à diverses reprises
interrompre le cours régulier des phénomènes sédimentaires, à ce que nous
appelons actuellement des transgressions et des régressions. Cette erreur
était d'autant plus excusable que même aujourd'hui ce principe compte
encore des partisans et est invoqué comme base d'une classification
méthodique des couches.
A deux reprises, en 1885 et en i888, la Société géologique, pour lui
témoigner en quelle estime elle tenait ses travaux, l'élut comme
Vice-Président et, en 1887, elle décidait de tenir sa réunion
extraordinaire dans la Charente-Inférieure et dans la Dordogne ; Arnaud
était nommé Président pour cette session. Sensible à l'honneur que lui
avait fait la Société en choisissant comme champ de ses études la région à
laquelle il s'était consacré, il considéra ce choix comme la récompense la
plus enviable qui pût lui être attribuée et ce lui fut un véritable
bonheur de conduire sur les terrains qu'il avait parcourus si souvent, les
nombreux confrères qui l'accompagnaient.
Le mariage de sa fille avec M. le Dr Lavielle de Dax, eut comme
conséquence de l'appeler chaque année dans cette ville : il put ainsi
étudier la Craie d'Angoumé et de Tercis et, en 1886, il publia une note
dans laquelle il fixait la position exacte des divers niveaux qu'il y
distinguait.
Arnaud profitait de tous ses moments de liberté pour quitter la ville et
parcourir la campagne en quête de gisements intéressants. Doué d'une
perspicacité extraordinaire, il savait y découvrir les échantillons les
plus rares et les plus beaux. « Les fossiles vous sautent dans l'oeil »
lui disait autrefois Coquand. Ainsi s'accumulaient dans sa collection des
richesses paléontologiques d'une grande valeur. Il était heureux d'en
faire les honneurs à ceux qui venaient le visiter et il le faisait
toujours avec la plus exquise amabilité. Libéralement il communiquait ses
récoltes à tous les savants français et étrangers qui désiraient les
étudier.
Aussi les travaux paléontologiques de notre époque renferment-ils beaucoup
de types nouveaux établis d'après les échantillons de sa collection.
Lui-même ne s'était pas désintéressé de cet ordre de recherches et en
paléontologie comme en stratigraphie il a fait preuve d'un coup d'œil
pénétrant. Il a décrit plusieurs espèces nouvelles de Brachiopodes et de
Rudistes, mais il s'était surtout épris des Échinides, nombreux et bien
conservés dans la Craie du Sud-Ouest ; les études qu'il a publiées sur eux
le placent au rang des échinologistes les plus compétents de son temps.
La vieillesse fut longtemps clémente à l'infatigable travailleur et, il y
a peu d'années encore, resté marcheur intrépide, il avait plaisir à
trouver un compagnon pour ses courses.
Le jour vint où l'avocat dut quitter le Palais et le géologue renoncer à
ses explorations ; le chrétien se prépara à la mort : elle vint le frapper
le 1er novembre dernier.
Le souvenir d'Arnaud restera parmi nous comme celui d'un savant de haute
valeur qui, dès le début de sa carrière, sut échapper aux doctrines
erronées qui régnaient alors dans la science. Nous devons reconnaître en
lui un précurseur, car il fut l'un des premiers parmi ceux qui mirent en
lumière, en dépit d'une vive opposition, les principes fondamentaux de la
stratigraphie.
bibliographie des travaux scientifiques d'H. ARNAUD
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