Desor vs Agassiz

         

Dans certaines éditions du Synopsis des Echinides fossiles de Desor (1858), il est possible de trouver, juste après l'introduction et avant les "principes de classification" quelques pages (6 bien souvent) intitulées "Réponse à M. Agassiz", datées et signées par Desor du 1er Juin 1858.

Dans ces pages, l'auteur répond donc en public aux allégations faites à demi-mot par son confrère à propos du caractère supposé  plagiaire de certaines parties du synopsis. Quelle histoire "croustillante", digne de Clochemerle tout cela... Eh bien non justement car les deux hommes entretenaient jusqu'à peu, des relations cordiales de confiance et de respect, pour ne pas dire d'amitié intime. Je tenais donc à vous rapporter cette face méconnue de l'histoire de la science échinologique, parfois amusante, parfois édifiante, mais finalement navrante en ce que le déchirement entre ces deux grands scientifiques n'a pas permis une mise en commun d'axes de recherche. Peut-être d'ailleurs la science en a-t-elle payé le prix par un ralentissement des échanges scientifiques et donc de la progression moins rapide du savoir ? Allez savoir...

Pour ce qui est du contexte, il faut savoir que c'est L. Agassiz qui a mis le pied à l'étrier de E. Desor, ce dernier ayant été son assistant scientifique pour ensuite voler de ses propres ailes. C'est donc grâce à Agassiz que Desor a été révélé (ce n'est pas une prise de position de ma part, mais un fait avéré puisque Desor est à la base un pur autodidacte). Quelques petites précisions sur le personnage :

  • Bien que signant et se faisant appeler Edouard, la réalité lui impute in extenso : Pierre Jean Edouard Desor.

  • de nationalité helvétique (Neuchâtel), il est allemand par la naissance (1811) et français par les origines. Il a vécu à Paris, Neuchâtel et dans le Nouveau Monde.

  • Connu par nous échinologistes, il est aussi réputé pour avoir développé l'archéologie préhistorique.

  • Autodidacte, politicien et militant des droits de l'homme avant l'heure (a combattu l'esclavagisme aux Etats-Unis), c'est aussi un homme d'esprit, fin et cultivé. Il parle d'ailleurs plusieurs langues.

Je vous livre donc ce passage de E. Desor, tel que je l'ai découvert. Je me garderai bien de commenter en prenant parti pour l'un ou pour l'autre, ou bien à chercher des éléments factuels à charge ou à décharge. Il m'a simplement paru intéressant de faire connaître un peu plus un épisode résultant de la brouille qui a séparé les deux hommes (à ce sujet précis, voir http://gsa.confex.com/gsa/2001AM/finalprogram/abstract_25692.htm). Mis à part l'orthographe de l'époque (ex : vivans au lieu de vivants) et les coquilles typographiques, le texte est original et n'a pas été modifié. Bonne lecture et méditez.

Réponse à M. Agassiz

Les pages qui précèdent étaient rédigées, lorsque j'ai eu connaissance d'un ouvrage de M. Agassiz, intitulé "Contributions to the Natural History of the U. S. of America." L'auteur en passant en revue les ouvrages qui traitent des Echinodermes y mentionne aussi le Synopsis. Je ne devais pas, à raison des mes relations avec l'auteur, compter sur un jugement bienveillant, et comme je ne connais que trop les imperfections de mon ouvrage, je m'attendais à les voir dévoiler sans merci. Il n'en est rien cependant. Mon ouvrage n'a pas eu les honneurs de la critique. M. Agassiz se borne à le caractériser comme une "réimpression partielle du Catalogue raisonné avec additions et figures" (partly reprinted from my Catalogue with additions and figures).

Je ne pense pas qu'il soit bien difficile de réfuter une pareille allégation. Un simple coup d'œil jeté sur les deux ouvrages suffira pour en faire justice. Le Catalogue raisonné est un brochure de 166 pages; le Synopsis est un volume de 490 + 60, par conséquent de 550 pages; le premier qui traite à la fois des Echinides vivants et fossiles comprend en tout 1010 espèces et deux planches, tandis que le second, qui ne traite que des Echinides fossiles, à l'exclusion des vivants, compte 1415 espèces accompagnées de 44 planches. Des 1010 espèces du Catalogue raisonné la moitié environ ne sont qu'énumérées, sans être accompagnées d'une description ni d'une diagnose quelconque, ce qui réduit à 546 les espèces fossiles dont les caractères sont indiqués et au sujet desquelles seules il peut être question de plagiat. Quant aux figures qui sont destinées à éclaircir le texte, l'abus ne saurait en aucun cas être bien choquant, puisque le Synopsis compte vingt deux fois plus de planches que le Catalogue raisonné.

Voila quel est l'état de fait, indépendamment de la valeur des ouvrages et de la position des auteurs.

Cependant il ne peut ni ne doit être indifférent à un auteur qui se respecte de recevoir un reproche de plagiat, ne fût-ce que sur un seul point. Je dois donc désirer me justifier, soit en sollicitant une comparaison les textes, soit en appelant l'attention sur ma vie et mes ouvrages, pour qu'on s'assure s'il y a dans mes antécédents quoique ce soit qui puisse autoriser ou justifier un accusation de cette nature.

    En attendant que quelqu'un veuille instruire ce procès, voici quelle est ma réponse catégorique.

1) Il n'y a pas dans tout le Synopsis une seule diagnose, ni une seule description soit générique soit spécifique qui soit empruntée au Catalogue raisonné.

    Qu'on compare les deux ouvrages et qu'on juge.

2°) J'en appelle à ceux de mes amis scientifiques qui m'ont fourni des matériaux, qui m'ont aidé de leurs conseils et de leurs lumières, qui ont en quelque sorte assisté à l'élaboration souvent difficile de cet ouvrage. en est-il un seul qui songe à lui contester le mérite de l'originalité?

3°) J'eusse utilisé une partie des diagnoses du Catalogne raisonné, que je n'aurais en aucune façon pu encourir le reproche de plagiat, puisque l'ouvrage que l'on m'accuse d'avoir reproduit est .mon œuvre et que l'on n'est pas plagiaire en reproduisant ses propres résultats. N’est plagiaire que celui qui emprunte à autrui.

Je repousse par conséquent comme mensongère et absurde à la fois l'accusation de plagiat que M. Agassiz s'est plu à lancer contre moi.

 

Mais Mr Agassiz ne s'en est pas tenu là. Il parait qu'une fois entré dans la voie de l'iniquité l'on va loin. On en jugera par cette autre accusation au sujet d'un premier ouvrage, ,,le Catalogue raisonné des Echinides." Cet ouvrage a paru en : 1847 dans les "Annales des Sciences naturelles" sous les noms de L. Agassiz et E. Desor, précédé d'une Introduction par M. Agassiz. C'est comme notre œuvre collective, comme le résumé de nos travaux monographiques sur les Echinodermes, qu'il a été reçu et accueilli par le public scientifique et que de. puis lors il a été cité dans les ouvrages de géologie et de paléontologie. Après en avoir revu et coordonné les détails à Paris, pendant l'hiver de 1846 à 1847, j'en emportai moi même les premiers tirages aux Etats-Unis, où M. Agassiz les présenta comme notre œuvre. commune. Quand il en sera besoin, je produirai le témoignage de plusieurs géologues qui ont reçu le "Catalogue raisonné" à ce titre.

Bientôt après surgirent entre nous des différents, dont les causes et les détails sont trop peu édifiants pour être reproduits ici. Oubliant tout un passé, M. Agassiz a cru, dans son irritation féminine, qu'il était en son pouvoir de me faire descendre de la position qu'un travail soutenu m'avait acquise, et il n'a pas craint pour cela d'avoir recours au plus tristes moyens. On en jugera par le trait suivant. Selon lui, ce serait sans son autorisation et en profitant de son absence, que j'aurais subrepticement ajouté mon nom an sien sur le titre, tandis que je n'aurais été chargé que de la correction des épreuves. J'aurais en outre éliminé plusieurs noms génériques en les remplaçant par d'autre noms de ma propre création. Voici comment il s'exprime textuellement à ce sujet. (Vol. 1. p. 97 des Contributions).

“I quote this paper under my own name alone, because that of Mr. Desor which is added to it, has no right there. It was added by him after I had left Europe, not only without authority, but even without my learning it for a whole year. The genera Goniocidaris, Mespilia, Boletia, Lenita, Gualtieria, Lovenia, Breynia, which bear his name, while they should bear mine, as I have established and named them, while Mr. Desor was travelling in Sweden, were appropriated by him without any more right, by a mere dash of the pen, while be was carrying my manuscript through the press. How many species he bas taken to himself in the same manner, I cannot tell. As the printed work and a paper presented by me to the Academy of sciences of Paris in 1846 exhibit, for every one acquainted with zoological nomenclature, internal evidence of my statement, such for instance as my name left standing as authority for the Species of Mespilia, Lenita, Gualtieria and Breynia, while the genus bears his, need not allude further to the subject. This is one of the most extraordinary cases of plagiarism I know of."

Voilà donc une accusation directe de prévarication scientifique. Joignant la lâcheté à la fraude, j'aurais abusé de la confiance de M. Agassiz et aurais profité de son absence pour m'approprier ce qui m'appartenait pas.

En présence d'une accusation aussi odieuse venant d'un homme aussi haut placé que M. Agassiz, est-il possible de se taire? Je le demande à tout homme de cœur; je le demande surtout à ceux de mes amis, qui m'ont conseillé et me conseillent encore de passer outre dans l'intérêt de la science, ou de pardonner par esprit de charité. Mon sentiment intime, d'accord avec ma conscience, me dit au contraire que je me dois à moi même, que je dois à ma famille et à mes amis de repousser la calomnie. Je répondrai donc sans passion, mais aussi sous ménagement. .

Commençons par constater un premier point. C'est en 1857, par conséquent après que dix aunées se sont écoulées depuis notre séparation, qu'il vient tout à coup à l'esprit de M. Agassiz de réclamer contre un prétendu abus de confiance que j'aurais commis à son préjudice en 1847. D'un autre côté, c'est après dix ans d'une intimité dont nul plus que M. Agassiz n'a vanté les avantages, que je me serais tout à coup rendu coupable d'une noire trahison! Examinons un peu dans quelles circonstances nous nous trouvions alors. Les publications de M. Agassiz avaient pris des proportions extravagantes, ce qui, joint à d'autres circonstances qui ne sont que trop connues, avait rendu sa position assez critique. Ce fût alors qu'il conçut l'idée d'aller faire fortune en Amérique, le Roi de Prusse, alors Prince de Neuchâtel, lui offrant de prendre à sa charge les frais du voyage, à condition qu'il enverrait aux Musées de Berlin et de Neuchâtel les collections qu'il ferait en Amérique.

Nos travaux scientifiques avaient été trop nombreux, pour que je pusse songer à rompre une association d'aussi longue date. Je me décidai donc à accompagner M. Agassiz aux Etat Unis et d'y chercher avec lui la confirmation des divers problèmes que nous avions poursuivis ensemble. Mais auparavant il fallait achever une partie des ouvrages commencés. Plusieurs le furent à Neuchâtel et bien qu'ils aient paru sous le nom de M. Agassiz, la part qui m'en revient n'y est nullement contestée. D'autres n'étaient pas assez avancés pour que l'impression pût en être commencée à Neuchâtel; c'étaient le Catalogue raisonné des Echinides et le Système glaciaire. Je les emportai par conséquent à Paris où nous devions faire un séjour. C'était au printemps de 1846. L'été fut consacré par nous à comparer la magnifique collection du Jardin des Plantes et les diverses collections publiques et privées de la capitale. Ces recherches nous conduisirent à quelques résultats intéressants que M. Agassiz résuma, avec mon consentement, mais sans mon concours, dans un mémoire lu à l'Académie des sciences le 10 Août 1846 1) et. qui devint plus tard l'Introduction au "Catalogue raisonné." Dans ces entrefaites, je m'en allai de mon côté faire une tournée en Scandinavie, pour y jeter un coup d'œil sur les phénomènes erratiques du Nord, comme préparation aux études du même genre que nous devions faire de l'autre côté de l'Atlantique.

A mon retour, je ne trouvai plus M. Agassiz à Paris; il venait de s'embarquer pour Boston, me laissant le Catalogue raisonné et le Système glaciaire à achever. C'est à ces deux ouvrage que j'ai consacré l'hiver de 1846 à 1847, ainsi que l'attesteront ceux de mes amis avec lesquels j'ai soutenu des relations suivies et presque journalières, en particulier MM. Krohn, Vogt, Ch. Martins, T. Berthoud. Le Système glaciaire fut imprimé en entier sous mes yeux, Je surveillai également l'impression du Catalogue raisonné, à l'exception des dernières feuilles, dont les épreuves furent corrigées par M. Marcou.

 

Je m'abstiendrai pour le moment de parler du "Système glaciaire" qui n'est pas en jeu. C'est du Catalogue raisonné seul qu'il s'agit. Or je maintiens contrairement aux assertions de M. Agassiz que cet ouvrage m'appartient non seulement dans ses détails, mais encore dans ses dispositions générales. et que s'il est un nom qui doive être retranché du titre comme usurpé, ce n'est à coup sûr pas le mien. C'est ce dont il me reste à fournir la preuve. Qu'il me soit permis pour cela d'entrer dans quelques détails plus spéciaux.

 

L'une des principales familles de l'ordre des Echinides, sinon la plus importante, c'est celle des Spatangoïdes ou cœurs de mer. La classification de cette famille laissait beaucoup à désirer. Si aujourd'hui elle est plus satisfaisante, c'est grâce à une particularité de l'organisation de ces animaux qui avait passé inaperçue, les fascioles ou bandelettes. Qu'on consulte le Catalogue raisonné et l'on s'assurera que c'est sur la forme, la distribution et le nombre des fascioles que sont fondés la plus grande partie des genres de Spatangoïdes. Or ce caractère n'était pas connu de M. Agassiz. C'est pendant mon voyage en Scandinavie, que mon attention fut pour la première fois attirée par ces bandelettes, en examinant la structure des Oursins de la mer du Nord. Ce fut avec mon ami M. Krohn que je completai à Paris l'étude de cette singulière organisation, pour laquelle je proposai le nom de fascioles, qui à été généralement adopté.

 

Un criterium aussi important ne pouvait être introduit dans la méthode sans modifier plus ou moins les coupes existantes. Bon nombre de genres se trouvèrent corroborés et affermis par ce nouveau procédé; d'autres ne subirent pas l'épreuve et cette circonstance, jointe à d'autres considérations que je discuterai plus tard, s'il y a lieu, m'engagea à supprimer plusieurs des genres proposés par M. Agassiz et à en modifier d'autres. Telle est entre autres la raison pour laquelle les genres Breynia, Lovenia, Gualtieria etc. ont été introduits. En citerai-je un exemple?

 

Voici la diagnose qui est donnée du genre Breynia dans le Catalogue raisonné p. 118. "Deux fascioles à la face supérieure: un interne, comme dans le genre Lovenia, l'autre péripétale. De gros tubercules à la face supérieure, mais seulement dans l'espace circonscrit par le fasciole péripétale. Les ampoules qui portent les tubercules ne sont pas saillants à l'extérieur. Un fasciole sous-anal. , Yeux et pores génitaux comme dans le genre Lovenia."

 

N'est-il pas de toute évidence que ce sont les fascioles qui dans cette définition constituent le principal criterium? Or ce criterium n'a été connu de M. Agassiz que longtemps après l'impression du Catalogue. Quand donc M. Agassiz affirme que c'est pendant mon voyage en Suède qu'il à établi le genre Breynia, c'est tout simplement une impossibilité qu'il allègue. Je m'abstiens de qualifier ce procédé. Qu'il me suffise de l'avoir signalé. Il est vrai que la nécessité de quelques nouvelles coupes génériques avait été pressentie par nous avant la découverte des fascioles. Mais ce n'était qu'un vague pressentiment. Néanmoins j'ai poussé l'abnégation jusqu'à faire honneur à M. Agassiz de ces nouveaux genres, toutes les fois que je pouvais supposer que mon collaborateur les avait entrevus ou que leur création pouvait se justifier sans le concours des fascioles, témoins les genres Macropneustes, Eupatagus, Archiacia et plusieurs autres. Quant aux genres qui reposent plus exclusivement sur les fascioles, il est évident qu'il eut été absurde d'en faire remonter la responsabilité à M. Agassiz, qui ignorait complètement les caractères sur lesquels ils sont fondés ; tels sont par exemple les genres Hemiaster, Gualtieria, Breynia etc. Néanmoins pour que l'Introduction du Catalogue raisonné ne fut pas incomplète dès le début, je l'ai complété par le paragraphe suivant que M. Agassiz n'a jamais songé à récuser et qui a passé sous son nom, bien qu'il ne se trouve pas dans l'édition du Compte-Rendu.

"Lamarck avait divisé les Spatangoïdes en deux genres, les Ananchytes et les Spatangues; le premier comprenait toutes les espèces dont l'anus est infra­marginal, et le second celles dont l'anus est supra-marginal. Cependant il est aisé de s'apercevoir que ces deux genres renferment des types très différens, surtout celui des Spatangues; aussi l'ai-je fractionné depuis longtemps en plusieurs genres, me fondant principalement sur la forme et la structure des ambulacres. Ces coupes, dont quelques unes pouvaient paraître arbitraire~ dans l'origine, ont été validées de la manière la plus satisfaisante par les recherches de MM. Krohn et Desor sur les pédicellaires. Ces organes ne sont pas répartis sur la surface entière du test, comme chez le Echinus ; ils sont au contraire réunis en zones ou cordons flexueux, qui se distinguent dans plusieurs espèces par une coloration particulière. Lorsque l'oursin est dépourvu de ses piquants, ces zones se présentent à la surface du test sous la forme de bandelettes en apparence lisses; mais si on les examine à la loupe, on s'aperçoit quelles sont composées de très petits granules, de véritables tubercules, sur lesquels s'articulent les pédicellaires. Ces bandelettes, que j'appelle avec M. Desor fascioles, ne sont donc pas un caractère insignifiant, puisqu'elles correspondent à des organes particuliers et sans doute importans dans l'organisation de ces animaux.

Tous les Spatangoïdes n'ont cependant pas de fascioles, et il est digne de remarquer que ce soient précisément les plus anciens dans la série des terrains qui en sont dépourvus, savoir les Holaster, les Toxaster, les Ananchytes et les Dysaster, c'est-à-dire précisément les genres qui se rapprochent le plus des Cassidulides. "

Ma sollicitude pour l'ouvrage de M. Agassiz ne s'est pas borné à ces adjonctions. J'ai en outre supprimé, dans l'Introduction du Catalogne raisonné, plusieurs passages de l'édition du Compte-rendu, parce qu'ils renfermaient des erreurs manifestes. Ainsi on y lit (pag. 282) que , «l'existence des Echinides dans la série des terrains ne parait pas remonter au delà de l'époque de la déposition du Muschelkalk.» J'ai supprimé également cet autre passage (p. 285) où M. Agassiz a l'air de trouver étrange que les ouvrages de géologie et de paléontologie citent encore généralement dans les terrains houillers, des Echinides, qui appartiennent à la famille des Crinoïdes. Et pourtant, a cette époque, l'ouvrage de M. Griffith sur les fossiles carbonifères d'Irlande était publié depuis deux ans (1844). Si M. Agassiz avait pris la peine de consulter cet excellent ouvrage, il se serait assuré par les descriptions et figures de M. McCoy, qu'il ne peut y avoir aucun doute à leur égard, que ce sont de véritables Echinides.

Il est vrai que ce résultat ne cadrait pas avec certaine théorie sur la succession des types, d'après laquelle il ne pouvait avoir existé, en fait d'Echinodermes, que des Crinoïdes et des Cystidées dans la formation carbonifère, tout comme il était interdit aux Reptiles de remonter au delà de l'époque secondaire.

Le temps a fait justice de ces prétentieuses théories. Il est reconnu aujourd'hui que les Reptiles aussi bien que les Echinides non seulement existent dans les dépots de la formation houillère, mais qu'ils remontent les nus et les autres jusque dans la formation dévonniene et probablement plus loin.

Une autre erreur consistait a représenter les Holothuries (p. 283) comme "exclusivement propres à la création actuelle". Et pourtant M. Agassiz aurait dû. savoir que si le corps de ces animaux est trop mou pour se conserver à l'état fossile, il n'en est pas de même des petits écussons et spicules calcaires dont leur peau est pénetrée, et qu'on retrouve dans bon nombre de terrains. Le corps lui même nous a d'ailleurs quelques fois laissé son empreinte; il suffit de rappeler le Synapta Sieboldi Munst.

Ces erreurs, pour avoir été publiées üans le recueil officiel de l'Académie des Sciences de Paris, n'en sont pas moins des erreurs. Or il ne pouvait me convenir de les voir se perpétuer dans un livre auquel mon nom se trouvait attaché. Loin de mériter un reproche, je crois au contraire avoir rendu service à la science en les corrigeant et les supprimant, tout comme je crois avoir fait preuve de désintéressément en attribuant à M. Agassiz des résultats qui étaient le fruit de mes propres études. Pour un adversaire discret, c'eut été ici le lieu, sinon protester, au moins de se taire.

Ceux qui ont connu nos relations intimes. d'autre fois me demanderont peut­être d'où vient cet aveuglement de la part d'un homme dont la position scientifique est assez belle pour qu'il n'ait pas à envier les succès d'autrui. Je devrais pour répondre à cette question remonter à la cause de nos disputes. Or je désire, dans l'interêt de la science, que M. Agassiz ne me force pas à sortir de la réserve que je me suis imposée.

NEUCHATEL le 1 Juin 1858

E. Desor.

 

1) Compte rendu de l'Académie des Sciences. Tom. .XXllI. p. 276. C'est 1. seul de ses ouvrages que M. Agassiz ait rédigé lui même depuis 1840. Tous les autres sont de la plume de M. Vogt ou de la mienne. Une lecture attentive en fera foi au besoin.

* concernant la vie, l'oeuvre de Desor, je vous engage vivement à lire l'ouvrage récent de Marc-Antoine KAESER (2004) L'univers du préhistorien. Science, foi et politique dans l'oeuvre et la vie d'Edouard Desor (1811-1882). Paris, l'Hamattan ; Lausanne, Sté Hist. Nat. Suisse Romande ; 621p. ISBN : 2-7475-6409-6 (47 euros)  contact avec l'auteur ma.kaeser at bluewin.ch