VICTOR-AUGUSTE GAUTHIER
1837-1911.
Notice nécrologique
par
J. Lambert
(Notice présentée à la séance générale
annuelle le 6 juin 1911)
L'ami dont je viens de rappeler le souvenir
à la Société géologique de France est peut-être mal connu de nos plus
jeunes confrères, car depuis huit années il vivait complètement séparé de
nous. Atteint d'une cruelle affection, Victor Gauthier s'est éteint le 20
février dernier.
Né à Tonnerre (Yonne) le 5 mars 1837, le
quatrième enfant d'un modeste vigneron, Victor-Auguste Gauthier s'est
progressivement élevé par son intelligence et son travail et, fils de ses
oeuvres, il avait acquis, il y a vingt ans, une notoriété scientifique
méritée. Il éprouvait pour les sciences naturelles un attrait que l'étude
vint encore développer, mais appelé par ses fonctions à passer en province
la plus grande partie de son existence, il avait compris de bonne heure la
nécessité de se spécialiser et, renonçant bientôt aux travaux de
paléontologie général, il s'est voué exclusivement à l'étude des
Echinides. Il devint le correspondant, puis le collaborateur et l'ami de
Cotteau, tandis que, par son mariage, des relations de famille
établissaient entre Peron et lui une sincère et durable amitié.
Elevé au collège de Tonnerre, puis
successivement répétiteur aux lycées de Sens et d'Orléans, bientôt
licencié ès lettres et, après un brillant concours, agrégé de grammaire,
nous le voyons professeur aux lycées de Pau, du Puy, de Moulins, de
Marseille enfin, le 7 janvier 1864. C'est dans cette ville qu'il se livra
durant dix-neuf années à l'étude des Echinides et réunit une importante
série des espèces de la Provence.
Ses premiers travaux furent des
collaborations. Il débute en décrivant deux espèces, d'ailleurs non
figurées et dont une seule a pu être maintenue, dans l' "Essai de Géologie
et de Paléontologie Aveyronnaise" de Reynès, puis, avec Peron et sous la
direction de Cotteau, il entreprend la "Description des Echinides fossiles
de l'Algérie", oeuvre considérable, dont les deux premiers fascicules
furent publiés d'abord dans les Annales des Sciences géologiques (1873) et
dans la Bibliothèque des Hautes études (1875), mais furent ultérieurement
remaniés (1883-84), pour constituer une partie du premier volume de ce
grand ouvrage, qui fait particulièrement honneur à la science française.
Pendant dix-huit ans, de 1873 à 1891, Gauthier a travaillé sans relâche
aux descriptions de ces Echinides et nous a permis de bien connaître cette
si intéressante partie de la faune fossile algérienne. Il importe à ce
sujet de rappeler quelle fut, dans l'oeuvre commune, la part de chacun.
Peron a fourni la plus grande partie des matériaux, écrit les notes
stratigraphiques et collaboré avec Gauthier à quelques descriptions
d'espèces. Cotteau avait gardé la haute direction et son opinion a
prédominé dans les questions délicates d'établissement ou d'interprétation
des genres et des espèces comme dans celles de classification générale. A
Gauthier revient le mérite de l'étude détaillée de toutes ces espèces et
leur soigneuse description.
A mesure que s'avançait la publication de
ce grand ouvrage, les connaissances de l'auteur devenaient plus étendues
et il se risquait à nous donner seul quelques courtes notes, la première
sur les Echinides qui vivent aux environs de Marseille, une autre fort
intéressante sur les Echinides du département des Bouches-du-Rhône,
prodrome d'un travail plus important qui n'a pas été publié ; mais,
confident de la pensée de mon savant ami et acquéreur de sa belle
collection, j'espère pouvoir un jour compléter sur ce point son oeuvre, et
faire figurer les espèces assez nombreuses dont il a seulement indiqué les
noms.
Au cours de ces travaux Gauthier fut nommé,
le 7 août 1883, professeur au lycée Michelet, à Vanves, et bientôt promu
officier de l'Instruction publique. Il a depuis publié dans notre
Bulletin diverses notes, notamment de 1898 à 1903 ses "Contributions à
l'étude des Echinides fossiles". De 1888 à 1895, il avait fait paraître
dans l'Annuaire géologique universel une série d'articles où il a
donné de précieuses analyses des principaux travaux parus à cette époque
sur les Echinodermes. Puis en 1889 il publie ses "Echinides fossiles de la
Tunisie", ouvrage important, à la rédaction duquel l'avaient
merveilleusement préparé ses études sur les Echinides de l'Algérie.
En collaboration avec Cotteau d'abord
(1895), puis seul (1902), Gauthier a décrit les curieux Echinides
rapportés de la Perse par J. de Morgan. En collaboration avec notre
confrère l'ingénieur R. Fourtau, il a fait paraître, en 1899, la Révision
des Echinides fossiles de l'Egypte, bientôt suivie de deux notes sur le
même sujet et avait ainsi bien mérité l'honneur d'être nommé membre de
l'Institut égyptien.
L'oeuvre de Gauthier, sans atteindre
l'étendue de celle de Cotteau ou de Loriol, fut donc encore importante.
Parmi les types d'Echinides les plus
intéressants que Gauthier nous a fait connaître il faut citer :
Galeropygus Jolyi du Cénomanien des Charentes, Noetlingia Monteili
du Crétacé de l'Afrique centrale, Entomaster Rousseli du Sénonien
de l'Algérie, Rachiosoma Peroni et Lambertiaster Auberti du
Crétacé de la Tunisie, Megapneustes grandis de l'Eocène d'Egypte,
les Vologesia Tataosi, Stenonia Morgani, Opissaster
Douvillei, Iraniaster Douvillei du Sénonien du Louristan et
surtout Cionobrissus Morgani de l'Eocène supérieur de la Perse.
Comme naturaliste, Gauthier a
principalement manifesté ses opinions dans ses notes les plus courtes et
les plus récentes, car dans ses grands travaux il s'appliquait surtout à
nous donner des descriptions très complètes, détaillées et précises de
toutes les espèces par lui étudiées. Chacune de ses descriptions est
suivie d'un examen consciencieux des rapports et différences de la forme
étudiée avec les espèces voisines.
A propos de Megapneustes Lorioli,
Gauthier a justement remarqué que la valeur taxonomique des facioles était
variable, excellent chez les espèces récentes, alors que l'organe est
définitivement fixé, beaucoup moins certaine chez les premières formes à
fascioles instables du Crétacé et de l'Eocène. Il attache une certaine
importance à la présence de tubercules dans les zones interporifères des
pétales de certains Spatangoida. Après avoir nié la valeur
générique de la présence des rangées de tubercules secondaires chez les
Glyphostomata, il s'est rallié à l'opinion contraire de Pomel pour
justifier son genre Orthechinus. Ses travaux sur les modifications
de l'apex des Hemiaster présentent un intérêt considérable et ont
ruiné la classification artifiielle de Pomel des Spatangoida en
Spatangides et Progonastérides. Dans ses travaux en collaboration avec
Cotteau, il est assez difficile de dégager ses vues personnelles de celles
du Maître ; ces vues apparaissent plus nettes dans sa note critique sur la
classification des Echnides de Pomel, critique sobre, impartiale, marquée
au coin du bon sens, une des meilleures qui ait été publiée et que l'on
relit encore aujourd'hui avec fruit. Il s'y montre disciple convaincu du
traditionnalisme scientifique. Sans nier l'importance chez les Echinides
de l'appareil masticatoire, il lui préfère, dans l'ordre de la gradation
des caractères taxonomiques, ceux tirés des rapports du périprocte et de
l'apex, ou de la forme des pétales. Et cependant le dernier tout au moins
n'est pas plus absolu que celui invoqué par Pomel, car, si l'on peut
hésiter sur la position de certains Conulus ou Conoclypeus
parmi les Gnathostomes, on restera tout aussi hésitant sur le caractère
vrai des pétales du Galeropygus Peroni ou du Clypeus Constantini.
Cette recherche de l'absolu en matière de nomenclature, qui séduit les
meilleurs esprits, est en réalité assez décevante, car dans la nature la
richesse des formes est telle que l'étude d'un caractère isolé conduit
fatalement à l'observation de dégradations progressives et de liens
apparents entre les principales familles. En sorte que le savant, qui
poursuit cette recherche sur l'étude d'un caractère prétendu de premier
ordre, est insensiblement conduit par une évolution progressive de ses
idées aux théories diamétralement opposées du transformisme. Gauthier n'y
a pas échappé et lui, qui niait alors tous rapports entre les Paléchinides
et les Néaréchinides, nous le verrons, dix ans plus tard, rechercher
partout la forme de passage d'un type à un autre et s'imaginer en avoir au
moins trouvé une dans son Proholaster Auberti.
Gauthier nous apparaît surtout comme un
puissant préparateur de matériaux, inlassable descripteur d'espèces et de
formes nouvelles, rarement soucieux de soulever le voile qui nous
obscurcit la question des origines. S'il aborde cette question dans ses
échinides de la Perse, c'est bien timidement et en quelque sorte
incidemment, à l'occasion du genre Iraniaster, énonçant comme un
axiome cette pensée qu'un genre ne saurait apparaître tout d'un coup,
complètement isolé des autres. C'est là une opinion qui procède plutôt de
la foi à une théorie que de faits matériellement constatés. Dans cet ordre
d'idées, Gauthier a cru devoir signaler ce qu'il appelle les affinités d'Iraniaster
avec Stenonia, tandis qu'ailleurs il fait descendre Schizaster
d'Opissaster, Bothriolampas de Bothriopygus,
Pliolampas d'Echinanthus. Laissons-lui la responsabilité de ces
opinions, mais remarquons que sa science et son talent se sont surtout
manifestés dans l'observation des espèces connues, la création des espèces
nouvelles et leur description. Sous ce rapport, il a acquis une juste
notoriété et son oeuvre, intacte après des années déjà nombreuses
écoulées, s'imposera aux générations futures comme elle s'impose à ses
contemporains.
Munier-Chalmas disait familièrement que la
valeur du naturaliste se reconnaît à l'habileté du préparateur. Rien ne
fut plus vrai en ce qui concerne Gauthier, il faut voir dans sa belle
collection avec quel soin et quelle adresse il savait dégager un Echinides
dans les gangues les plus rebelles. Alors on comprend mieux l'excellence
de ses descriptions à la fois si complètes, si exactes, sobres et
élégantes.
Naturaliste passionné, travailleur
infatigable, chez lui la profondeur de la science n'avait d'égale que
l'étendue de la modestie. Au milieu de ses collections et de ses livres,
consacrant vers la fin de sa carrière ses loisirs à ses études favorites,
entouré de l'affection de quelques amis et de la tendresse d'une compagne
dévouée, il semblait devoir couler dans la retraite qu'il s'était choisie,
à Sens, des jours heureux, contribuer plus que tout autre aux progrès de
l'Echinologie et, sans briguer les honneurs, atteindre une célébrité
scientifique indiscutable, quand la maladie vint bouleverser ses travaux,
sa vie et jusqu'à ses sentiments eux-mêmes pour ceux qui lui avaient été
les plus chers, en sorte que nous avons, eu en quelque sorte, la douleur
de le perdre deux fois.
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Liste des publications scientifiques de
Victor Gauthier
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